Bientôt je vais mourir d’une maladie rare
Inconnue des docteurs et des vétérinaires
Qui tous se sont penchés sur mon cas atypique
Avec leurs instruments et leur air entendu
Avez-vous mal ici m’ont-ils redemandé
En me tâtant le pouls en mesurant mes pieds
Et certains me cherchaient midi à quatorze heures
Et d’autres m’auscultaient du quatrain au sonnet
Ce n’est pas contagieux les ai-je questionnés
Car je ne voudrais pas Lui causer du chagrin
Et ni connaître en vain l’horrible quarantaine
Puis l’un d’entre eux a dit tout bas à ses collègues
La cirrhose du coeur la cirrhose du coeur
Je ne crois pas pourtant avoir commis d’abus...
Si on creusait des trous sur la tête des gens
A la place des yeux la vie serait plus douce
On ne connaîtrait plus le désir et la honte
La honte et le désir ni la peur des miroirs
Et si en plus de ça on bouchait nos oreilles
Avec du ciment gris si on cousait nos bouches
Avec des barbelés et qu’on en mette aussi
Pour protéger le coeur de ce qui le menace
Si ça ne suffit pas on pourrait s’enfermer
Dans des boîtes en bois avec des petits trous
Pour pouvoir respirer faut bien vivre quand même
En dépit du désir en dépit de la honte
D’exister d’exister d’exister d’exister
Enfin pour le moment mieux vaut aimer souffrir...
Une crampe inconnue me pétrifiait les yeux
Qui fixait fixement des lignes d’horizon
Quand soudain descendit dans mon champ de vision
Les contours délicats de la plume d’un Ange
Je voulais mieux comprendre en usant de mes mains
La douce vérité de cette apparition
Or l’Ange s’envolait au moindre de mes gestes
Comme un moineau craintif à l’arbre le plus proche
J’aurais pu me lasser de ce jeu incessant
Mais sans autre loisir auquel me consacrer
Ni aucun souvenir pour les jours qui viendront
Je cédais au plaisir d’une quête impossible
Au bonheur de connaître une douleur intime
Car c’est quand on a mal qu’on sait qu’on est vivant...
Ils m’ont dit en souriant comme à un demeuré
Tout ça prendra du temps j’ai regardé ma montre
Mais je savais déjà qu’elle allait me moquer
En faisant des tic-tacs de toutes ses aiguilles
Alors je m’ai levé j’ai remballé mes phrases
Que j’avais étalées et j’étais si pressé
D’aller courir vers Toi dans un coin de ma tête
Que je n’ai pas pensé à leur couper la langue
J’ai couru sans marcher où me menaient mes pieds
Mon cerveau quant à lui divisait des secondes
Ajoutait des années et retranchait des mois
On se doutait qu’au bout des calculs compliqués
Il serait confirmé que je n’ai pas le Temps
Je voudrais être heureux maintenant maintenant...
Quand l’Huître et le Caillou se défient du regard
Sous les cris passionnés des romains décadents
Qui réclament du sang pour tromper leur ennui
On sent planer la Mort dans l’arène de l’Etre
Le Caillou est couvert de mille cicatrices
Rappelant au public ses victoires nombreuses
Quant à l’Huître elle aussi a connu des combats
Etripé des oursins et terrassé des poulpes
Des deux belligérants un seul pourra survivre
Le vaincu lui devra retourner au Néant
A l’Oubli au Placard comme on veut le nommer
On jettera aux lions ses lambeaux de dépouille
Effacera son nom et jusqu’à son visage
De tous les souvenirs qu’il pourrait infester...
A cause de mes bras qui n’ont jamais poussé
A cause de mes yeux qui cachent mes oreilles
Les lamas m’ont craché et les femmes m’ont fui
Alors je m’ai enfoui dans le fond de ma poche
Peut-on vivre longtemps dans un lieu si étroit
Privé de nourriture et de télévision
Sans ressentir jamais le besoin insolite
De murmurer son nom à la face du monde
Sans éprouver aussi l’envie de caresser
De la langue et des doigts la peau d’une étrangère
En écoutant son coeur battre sous ses paupières
L’envie de se blottir au creux de sa blessure
De couvrir de baisers l’intérieur de son ventre
Pour lui faire éloigner le goût de me quitter...